Écrits


La vérité en creux

article de Kathrin-Julie Zenker - l’autoréflexivité esthétique au sein du spectacle documentaire Jan Karski (mon nom est un fiction) - publié au PUR - Presse Universitaire de Rennes - 2017

Un art documentaire

· «La vérité en creux, l’autoréflexivité esthétique au sein du spectacle documentaire Jan Karski (mon nom est une fiction)», in A. Caillet et F. Pouillaude (dir.), Un art documentaire, enjeux esthétiques, politiques et éthiques, actes du colloque international de l’Université Paris 1 – Sorbonne juin 2015, Rennes, PUR, 2017.

Résumé:

Ce que nous appelons un dispositif dramaturgique correspond à une construction littéraire ou scénique constituée de différents éléments indépendants mais œuvrant de concert. Un dispositif documentaire propose à travers plusieurs approches fragmentaires du réel, une vue complexe, voire dialectique, sur les évènements difficiles à saisir et dont la cohérence est inexistante ou a été perdue depuis longtemps. Selon tous ces critères, le roman Jan Karski (2009) de l’auteur français Yannick Haenel, ainsi que son adaptation scénique Jan Karski (mon nom est une fiction) par le metteur en scène Arthur Nauzyciel en 2011 peuvent être considérés comme dispositifs artistiques documentaires. Sous-titré «roman», le livre de Haenel se présente comme une exploration de différentes variations formelles autour d’un même sujet, il teste en quelque sorte l’ingéniosité de l’art dans la saisie du réel. À travers une fictionnalisation progressive du matériau documentaire, dans laquelle la «story» vient compléter l’«history » (P. Ricœur), le récit de l’auteur construit un jeu de perspectives autour d’une éventuelle vérité historique; ce qu’il avance garde la légèreté d’une hypothèse.

La notion d’autoréflexivité renvoie ici à ce que le philosophe allemand Théodore W. Adorno désigne au sein de La Dialectique négative (1966), comme un travail sur les éléments «non-identiques» du réel. Sans succomber à la sacralisation des évènements dans une idée d’irreprésentabilité, Adorno pense le problème de l’art de façon dialectique: l’art se doit d’exprimer à travers sa forme le problème même de l’irreprésentabilité, l’impossibilité d’une approche unifiant des phénomènes du réel. Ainsi, si la visée du philosophe ne correspond nullement à la création d’œuvres dénuées d’images et/ou de figuration, elle défend celles qui, semblable à Jan Karski (mon nom est une fiction), réfléchissent à travers leur esthétique à des sens possibles. Au sein des œuvres autoréflexives, la vérité est une affaire d’interstices, elle subsiste comme un résidu, un sédiment dégagé par le travail esthétique. De telle manière, l’art ne peut pas «dire» la vérité, il la fait provisoirement «apparaître», comme le formule Adorno. L’art autoréflexif crée un potentiel de vérité, une vérité en creux, extraite à travers les différentes formalisations esthétiques du réel.